En haleine pendant plus de 500 pages!
Romancier, dramaturge, peintre et musicien, le Norvégien Samuel Bjørk
(Frode Sander de son vrai nom), a récemment signé un premier polar
intitulé Je voyage seule. Il nous plonge dans une histoire de «gamines victimes d’un jeu grotesque impensable».
Dès les premiers chapitres (il y en a 89), nous apprenons qu’un
promeneur a découvert dans la forêt une petite fille assassinée, pendue à
un arbre avec une corde à sauter et portant autour du cou un panonceau
où figure la mention Je voyage seule. L’affaire est confiée au
commissaire Holger Munch qui met sur pied une équipe spéciale aux
ressources illimitées.
Munch veut recruter l’ex-policière Mia Krüger, qui vit maintenant en
recluse sur une île loin d’Oslo. Quand il la rejoint, Holger ignore que
Mia s’y est retranchée pour… se suicider dans une dizaine de jours. «La
tête obsédée par un meurtre à élucider», Mia décide de repousser son
funeste plan.
Elle découvre un indice qui est passé inaperçu aux yeux de ses
collègues. Le chiffre I est peint sur l’ongle de l’auriculaire de la
fillette Pauline. Elle est la première d’une série de victimes. Johanne,
Andrea et Karoline, toutes âgées de 6 ans, suivront.
Aux États-Unis ou au cinéma, ces meurtres seraient un fait divers, mais
pas en Norvège. Le pays est sous le choc, en deuil, en état d’urgence.
Sa population est terrorisée et les journaux pataugent dans le
sensationnalisme.
L’intrigue revêt des accents religieux. Les fillettes assassinées
portent toutes des robes de princesse où «Mc 10,14» est cousu sur
l’encolure. Cela renvoie à un passage de l’Évangile selon saint Marc:
«Laissez les petits enfants venir à moi.» Les fillettes font un voyage
vers le ciel. Elles portent toutes l’écriteau «Je voyage seule.» que les
compagnies aériennes fournissent.
L’enquête policière ressemble à une pelote de laine, mais dès qu’on tire
sur un fil, la pelote devient une boule de nœuds. Un personnage dira
«je pige pas du tout le pourquoi du comment». Il y a plein de symboles,
changements de méthodes, fausses pistes et culs-de-sac. Samuel Bjørk
sait créer un maintenir le suspense.
L’auteur aime surprendre par de courts chapitres qui semblent n’avoir
aucun lien avec l’intrigue et qui présentent le plus souvent un nouveau
personnage. Ces chapitres s’avéreront plus tard des morceaux utiles pour
compléter le casse-tête.
Il lui arrive aussi de commencer chaque paragraphe d’une page ou deux
par le même sujet, comme: «La femme aux yeux vairons roula…, La femme
aux yeux vairons entra…, La femme aux yeux vairons changea…, La femme
aux yeux vairons resserra…, La femme aux yeux vairons aperçut…»
Bjørk a l’art de glisser des répliques aussi tendres que directes, du
genre: «–Va te faire foutre, Holger. –Moi aussi je t’aime, Mia.» Le ton
est parfois cru: «Elle avait agi par faiblesse. Il lui avait fait un de
ces rentre-dedans, lui offrant bières et cocktails et j’en passe. Quelle
grue! Quelle conne, putain!»
Certains personnages du roman sont assez colorés. Un suspect, par
exemple, est un travesti qui ne sait jamais s’il est un homme ou une
femme. Un soi-disant pasteur manipule les personnes âgées d’une
résidence pour les amener à léguer leur avoir à son église, et ce avec
la complicité d’une infirmière qui nous réserve des surprises…
Holger a une petite-fille qui doit bientôt faire son entrée à l’école.
Il reçoit un message codée qui la place en cinquième position sur la
liste des victimes… Son patron estime qu’il est trop impliqué pour
pouvoir continuer à diriger l’enquête, mais Holger lui tient tête, avec
raison comme vous vous en doutez bien.
Pour reprendre les mots du Bergens Tidende, un grand journal norvégien,
Samuel Bjørk figure parmi les rares auteurs reconnus «capables de
construire des histoires avec une telle élégance, dans une langue aussi
dénuée de clichés». Il nous tient en haleine pendant plus de 500 pages.
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